[...] Un autre incident plus récent avait fait tache dans les mémoires. Mêm e s’il avait été soigneusement caché par l’Administration, les deux marins accompagnant la relève n’avaient pas su tenir to ut à fa it leur langue.
Trois ans auparavant. Le père Joseph venait de passer sa dernière semaine sur l’île. Le canot allait l’embarquer en apportant son remplaçant. Le vieux gardien les attendait, droit comme un menhir, dans la grande salle, à côté de ses deux valises et d’un sac de marin qui datait de son service militaire dans la Royale. Le visage fermé. Il avait suivi les hommes jusqu’à l’embarcadère d’un pas hésitant.
Mais au moment de grimper dans la chaloupe, il avait jeté à terre son bagage et s’était enfui en courant droit vers la mer. Là, il avait pénétré dans l’eau glacée en marchant aussi vite qu’il l’avait pu et s’était mis à nager tant bien que mal vers le large. Il avait disparu derrière les rochers avant que les deux hommes abasourdis n’aient pu manœuvrer leur embarcation pour le repêcher. L’océan n’avait jamais rendu son corps.
C’est depuis cet épisode que dans la bouche des gardiens, quand on parlait de l’île noire, on entendait souvent l’île maudite. [...]
Le dernier gardien, (page 24-25). Extrait de L'île secrète, recueil de trois longues nouvelles, à paraître aux éditions L'Ametlièr début 2011.