Tout le monde aime la mer. L'eau tiède et le sable chaud, les vagues qui t'éclaboussent et parfois te roulent avant de t'emporter. L'écume qui reste sur ta peau et laisse éclater ses bulles. Mais pour moi, la mer c'est aussi un pont. Un chemin vers les étoiles lointaines qui se reflètent dans l'eau comme des diamants. Une masse bleue, ou verte, ou grise, grouillante de vie et de rêves. Les rêves des terriens qui n'ont jamais osé aller dessus. Les rêves des marins qui ne sont pas encore allés assez loin !
Lundi 13 novembre 2017. Le prof vient d’écrire la date en haut du tableau blanc pendant que chacun pose son blouson et sort de son sac le matériel nécessaire.
Premier cours de la semaine.
On commence par l’Histoire.
Le brouhaha se dissout dans l’air surchauffé sous le regard patient de l’enseignant. Les dernières conversations disparaissent.
— Pour commencer, ce matin, et avant de reprendre sur la Révolution américaine, je voulais vous poser deux questions.
Les yeux qui s’étaient déjà enfuis par les larges baies vitrées à la poursuite des dernières feuilles filant dans les rafales de vent, reviennent se fixer sur monsieur Chauvet et son sourire énigmatique.
Ça y est, il a piqué leur curiosité. Il adore procéder comme ça. Ça fonctionne à tous les coups. Le plus dur, c’est qu’il faut changer de technique souvent pour ne pas perdre la bonne moitié qui trouve très vite autre chose à penser.
Il fait le tour de la classe pour laisser planer le suspense puis démarre :
— L’un d’entre vous peut-il, en quelques mots, me parler de la Première Guerre mondiale ?
Un doigt se lève, puis deux, puis quelques uns plus timides. Le regard du prof fait le tour des autres. Les yeux se baissent. Quelques doigts récupèrent des stylos ou feuillettent des cahiers grand ouverts sur les tables.
— Vas-y, Julien ! C’est toi qui as levé le doigt en premier !
Le garçon est au deuxième rang sur la gauche. En se levant pour se tourner vers ses camarades, il vérifie d’un geste que sa mèche ne retombera pas sur ses yeux et jette un sourire complice à Tim, assis à deux pas de lui.
— Oui, M’sieur ! La guerre de 14…
— Oui, vas-y !
— Ben… on peut dire que la guerre de 14… C’est la première guerre vraiment rentable de toute l’histoire !
Toutes les têtes se tournent d’un seul mouvement vers le prof qui se tient les bras croisés devant le tableau. Antoine Chauvet a du mal à avaler l’information. Il cherche désespérément à analyser cette nouvelle approche. La rentabilité des guerres… Comparer avec celles des siècles passés… Tous les yeux sont fixés sur lui. Il doit réagir avant que ça dégénère en chahut. Un débat en perspective ? Il secoue lentement la tête sans dire Bien… Bien ! comme il le fait souvent. Il fait un signe au garçon qui s’assied. Il réfléchit deux secondes. Il s’échappe.
— Et ma deuxième question… plus simple : Pour vous, que représente la journée du 11 novembre ?
Les élèves se regardent. Le 11 novembre. C'était il y a deux jours. Un jour férié qui tombe un samedi, cette année. Pas marrant. Un jour de vacances perdu. Des cérémonies à la télé.
Les doigts peinent à se dresser.
— Solenn !
La grande fille que monsieur Chauvet invite à s’exprimer est tout au fond. Elle a des cheveux blonds relevés et attachés derrière sa nuque. Une enfant sage. Une bonne lectrice. Une élève discrète qui ne pose pas de problème. Ses notes sont bonnes et elle participe normalement. Antoine Chauvet s’est demandé plus d’une fois si elle ne faisait pas autre chose pendant son cours. Elle écrit beaucoup dans un carnet. Mais comme elle suit normalement et écoute au moins d’une oreille, il n’a pas cherché plus loin. Il serait bien heureux d’en avoir vingt-six comme ça. Ça lui simplifierait la vie.
— Donc, Solenn, que représente la date du 11 novembre pour toi ?
Tous les yeux l’interrogent. Elle s’est levée et s’appuie des deux mains sur sa table, réfléchit un instant et se lance :
— Le 11 novembre, c’est un anniversaire.
Elle regarde intensément le prof qui acquiesce d’un air encourageant et attend la suite.
— C‘est l’anniversaire du premier jour de vacances des marchands d’armes au début du siècle…
Un murmure sourd parcourt la classe et toutes les têtes se retournent vers le prof en attente de la réaction. Mais celui-ci ne se laisse pas démonter et lui sourit en pesant sa réponse.
— Tu as raison… Tu as raison, mais leurs vacances n’ont guère duré plus d’une semaine !