Ch 21
L’amour, si tu n’y prends garde, s’installe dans ton cœur. Une petite graine qui vole au vent. Un coin de terre accueillante. Juste la chaleur nécessaire pour le faire germer. Pousser. Un regard lui suffit. Quelques mots. Un sourire. Il est né. Il grandit. Et ton esprit l’adopte. La chimie de ton corps va lui donner des ailes.
Elle est là devant toi avec ses yeux d’artiste qui promettent bonheur. Ses lèvres gourmandes te capturent. Tu ne résistes pas. Tu l’attires vers toi. Elle t’emporte. Rêves fous. Doux plaisir.
Je la regarde dormir. Le globe rouge du soleil s’élève doucement en perdant de la couleur. Le doug-doug proche d’un bateau de pêcheur venu récupérer son filet, m’a réveillé un peu plus tôt. Je me suis assis et je l’ai observé. Il m’a aperçu et a levé la main. Un sourire. Je l’ai salué à mon tour. Il a gaffé la boule jaune de son engin de pêche et relevé des dizaines de brasses de mailles translucides. À la force de ses bras. Mètre par mètre. En décrochant quelques poissons brillants qu’il a jetés nonchalamment dans une caisse, au creux de la barque. Ou à l’eau.
Hier soir, après le restaurant, nous sommes revenus dormir sur la petite plage. Tout au bout. Juste les duvets. Pas d’écriture ce soir. La mer et le bonheur d’être l’un à l’autre. Pour un instant.
Le bain de minuit dans une eau merveilleusement tiède, un peu avant l’heure. Dans une mer d’huile. Le sable qui colle partout. Les serviettes qui n’épongent plus vraiment à la troisième fois qu’on sort de l’eau.
Un vent léger s’est fait sentir. L’abri des duvets sur le sol encore chaud. Nous avons longuement bavardé en cherchant les planètes. Compté les satellites. Crié à chaque traînée fulgurante d’étoile filante. Fait des vœux.
Tellement de vœux, que la vie devrait être belle. Je ne connais pas les siens. Il y en a peut-être qui me concernent. Certainement. Enfin, j’espère… Moi, je n’en ai qu’un. Répété dix fois.
Je la regarde dormir. Elle a un demi-sourire d’enfant heureux. Son épaule tressaute. Elle rêve. Une plaque de sable sombre sur sa joue. Comme une ombre sur un dessin. Des grains se détachent parfois au mouvement régulier de sa respiration.
Combien de fois encore vais-je pouvoir la contempler ainsi ? Une partie de moi me répète de vivre intensément ce moment. Peut-être le dernier. Une autre, croit en l’avenir. Croit que les vœux de cette nuit vont se réaliser.
Elle ne m’a jamais dit je t’aime. Mots magiques. Je me retiens chaque fois de les lui crier quand elle joue dans l’eau et qu’elle m’y entraîne. Quand je sens son corps vibrer et se tendre contre moi. Hier soir, cette nuit, j’ai verrouillé ma gorge pour qu’ils ne sortent pas. Trois mots qui font tant de bien. Ou de mal. Je ne veux pas lui faire peur.
Quand elle sera prête, elle les prononcera. Alors, je lui raconterai que j’emprisonne ces mots depuis longtemps. Le premier jour. Le premier sourire, peut-être.
Photo Côte sud de Menorca Juillet 2009
Ce texte est le chapitre 21 d'un roman à venir. Je l'ai proposé au concours que Déborah Galopin, jeune écrivaine, a lancé pour la St Valentin et dont le thème était, bien entendu, l'amour !