À plusieurs milles du Cap d’Agde, en filant vers la haute mer, on entend encore l’épouvantable vacarme qui irradie de cette station de vacances.
J’imagine (je ne tenterai pas l’expérience…) que lorsque l’on est allongé sur le sable, on peut en fermant les yeux se croire à cent mètres de n’importe quelle autoroute ou à peu de distance d’un périphérique urbain proche d’un aéroclub fréquenté.
La ronde infernale des jet-ski qui se comptent par dizaines, le va-et-vient permanent des bateaux à moteur en balade ou tirant des skieurs nautiques et le passage incessant d’avions traînant des banderoles publicitaires effacent le bruit des voitures sur la quatre-voie et dans les rues de la ville.
À des kilomètres en mer on entend cet intense grondement qu’on ne retrouve nulle part ailleurs sur la côte et qui semble ne jamais vouloir se terminer.
Ah les belles vacances !
Pourtant vers dix-neuf heures, les dernières machines viennent troubler l’eau du port en direction de leur écurie. Les avions ont rejoint leur terrain et les voitures en retard sont en chasse d’une place de parking non tarifée. Tout le monde se détend un instant.
Vite, manger !
La douche, un coup de déo, du gel sur les cheveux, et la fête foraine commence à deux pas des boîtes de nuit qui fourbissent les cuivres. Les machines à faire secréter de l’adrénaline ou à faire vomir se mettent en route. On entend un sifflement dans l’air qu’elles brassent, une musique assourdissante qui invite à la fête, puis très vite les hurlements des passagers de ces étranges simulateurs où l’on teste les pires conditions d’une guerre spatiale.
Dans la paillote qui s'est étendue sur une large portion de plage, on ne supporte plus le silence et le bruissement des vagues. Les dîneurs tremblent d’angoisse avec la baisse du jour.
Lumières clignotantes et caissons de basse viennent heureusement remplacer le brouhaha perdu des après-midi ordinaires. Les restaurants se désolent de perdre au jeu du plus bruyant et tentent la chanson. À vingt-trois heures, ça y est ! On a rattrapé le nombre de décibels indispensable pour faire passer d’excellentes vacances.
De plusieurs milles en mer, on doit entendre l’incroyable brouhaha qui enveloppe la station jusqu’au petit matin.
À terre règne un bonheur sans trêve. On rit à gorge déployée. On hurle et on se bat. On vomit à longs jets où l’on peut en essayant de sauvegarder ses chaussures hors de prix. On boit encore sans soif. On embrasse sans plus aucune sensation. On rit sans être heureux. On finit par s’endormir à même le trottoir assommé par l’alcool ou des produits bien plus efficaces pour fournir le bonheur pour la nuit.
Le voilier est rentré dans le port. À bord, au bout de quelques nuits, l’équipage a compris. Si l’on ne rejoint pas la fête et que l’on espère dormir pour pouvoir profiter des beautés du lendemain, il faut investir dans des boules de cire à colmater les oreilles et glisser sa tête sous un oreiller.
À huit heures, dans la fraîcheur du matin, les équipes de nettoyage balaient les déchets de la nuit en faisant délicatement le tour de quelques dormeurs que l’on suppose toujours vivants sur les trottoirs. Les loueurs d’engins à faire du bruit lustrent les carrosseries. Dans deux heures la mer accueillera à nouveau les machines aux moteurs hurlants qui vont tourner autour des plages comme autant de mouches à vers près d’un morceau de viande avariée.
Une belle journée de vacances au Cap d’Agde recommence…