Ils prirent le chemin du phare puis abandonnèrent leur engin et descendirent prendre position sur les cailloux en contrebas, à l’abri du vent.
La tramontane avait un peu molli, comme d’habitude avec l’arrivée de la nuit. La baie s’assombrissait, à nouveau déserte et livrée aux cris des oiseaux. Les marins du dimanche avaient regagné, tôt le matin, leur place au calme dans les ports de la région.
Le garçon s’allongea à demi, le dos collé au rocher qu’il avait choisi. Laura l’accusa aussitôt de lui avoir volé son siège, mais après avoir cherché du regard un coin pour s’installer, elle écarta les jambes d’Alex, s’assit au milieu et se laissa aller contre sa poitrine.
–– Je retire ce que j’ai dit, tu n’es pas un sale égoïste, tu es le fauteuil le plus confortable du cap !
Les bras puissants du jeune homme se refermèrent sur elle. Elle abandonna sa tête sur son épaule et se décontracta.
Mais ce moment de tendresse ne dura pas. Sous leurs yeux stupéfaits, surgissant de nulle part, apparut la goélette blanche illuminée un instant par le premier éclat du phare.
–– Oh ! souffla Laura.
Elle s’appuya brusquement sur les genoux de son compagnon pour se relever.
–– Viens, on y va, je voudrais essayer de la toucher.
–– Tes doigts passeront sûrement à travers quand tu les poseras sur la coque, plaisanta le garçon avec un petit sourire. Mais il prenait de plus en plus au sérieux ces histoires de bateau fantôme.
Elle lui tendit la main et tira fort pour l’aider à se redresser.
–– La chaîne… Alexandre montra la proue de la goélette. Il n’a pas mouillé son ancre, mais reste immobile malgré le vent fort ! Tu trouves ça normal, toi ?
–– J’y vais, dit-elle en se débarrassant de ses vêtements. Tu m’accompagnes ?
Ils plongèrent d’une roche à ras de l’eau et s’approchèrent du voilier dont ils firent le tour. Le bordé paraissait en parfait état. Les bossoirs, en place à l’extérieur, comme si l’on venait juste de mettre à l’eau un canot de service.
–– Aucun bruit à bord, seulement le chant de la tramontane dans les haubans ! fit remarquer la jeune fille.
–– Allez, on touche ?
Les deux amis nagèrent jusqu’à frôler la coque blanche puis hésitèrent un instant. Ils se regardèrent brièvement.
Curieusement, l’esprit scientifique du garçon ne l’empêchait pas de se montrer parfois superstitieux et irrationnel, et il avait du mal, ce soir à passer à l’acte.
Laura, elle, était attirée par le voilier comme par un aimant. Le mystère qui l’enveloppait occupait ses pensées depuis la première soirée où elle l’avait aperçu. Et elle était bien décidée à découvrir la clef de ce mystère.
Sa main se posa la première sur la coque blanche. La peinture était lisse et tiède. Elle la caressa. Une sensation agréable toute en douceur. Du bon vieux chêne ! pensa-t-elle, soulagée. Elle chercha les yeux d’Alexandre.
–– C’est du dur, du vrai bois, confirma-t-il, un peu rassuré, en tapant de ses doigts repliés comme on frappe à une porte.
–– Mais alors… si ce n’est pas qu’une ombre, une illusion, comment peut-il apparaître et s’en aller comme ça ?
Alex haussa les épaules.
Ils longèrent à nouveau la coque. Rien de particulier. Les palans pendaient sous les bossoirs débordés à tribord, attendant le retour d’une annexe. Une échelle de corde à barreaux de bois sombre descendait dans l’eau, juste à côté. Une véritable invitation à embarquer.
[...]