Dimanche 3 août
La Tramontane a hurlé toute la nuit faisant vibrer les fenêtres de l’appartement. Peu importe, j’ai dormi comme une souche et le réveil me tire d’un rêve profond à 7 heures. Le vent s’est un peu calmé et je me précipite vers le port.
Secoué par les rafales pendant de longues heures, mon équipage a moins bien dormi, et le chocolat fume déjà dans les bols sur la table du carré. Les regards m’interrogent et s’illuminent quand j’annonce qu’on part dans 10 minutes.
J’avale en vitesse un bol de céréales et de lait froid et mets le moteur à chauffer. Quand les passagers me rejoignent sur le pont, une seule aussière retient le voilier à quai. J’explique la manœuvre et rappelle les consignes de sécurité. Un dernier coup d’œil pour vérifier que tout est rangé et calé à l’intérieur.
Pierre largue la dernière amarre et un petit coup de moteur nous écarte du quai. C’est parti !
Nous passons les balises un peu plus vite qu’il le faudrait, mais j’ai hâte de retrouver la mer libre. Le vent est fort et nous porte sur les cailloux et même si je fais confiance au moteur…
Je donne la barre à Pierre et déroule un petit bout de génois qui suffira à nous tirer vers le sud, une fois sortis de l’abri des caps.
La mer grossit. Le vent forcit. Les vagues nous portent dans de longs surfs. Le voilier répond bien et le speedo s’affole à plus de 10 nœuds de temps à autre. Marie est un peu effrayée et s’accroche, un bras autour du winch.
La mer est toute à nous. C’est comme ça que je l’aime. Même si j’ai une certaine jouissance à maîtriser ce voilier propulsé par les vagues et tiré par le vent je suis totalement tendu et concentré. Je sens les réactions de la coque dans la barre franche. Ne pas rater une vague. Anticiper le mouvement du bateau pour le corriger et rester en ligne. Ne jamais risquer de se mettre en travers à la lame.
Une heure et cinquante minutes pour passer le cap de Creus. Un record. Et pourtant, l’équipage a trouvé le temps long. Notre route nous emmène à l’intérieur du passage le plus à l’est, le plus large. Et nous glissons entre les cailloux du célèbre cap.
La mer s’aplatit soudain. Le vent devient plus flou. Nous sommes passés. L’équipage respire et je me décontracte. Bon Dieu ! Comme j’étais tendu et que la mer était dure !
Je passe la barre à Marie et l’invite à se rapprocher de la terre, là où l’eau est aussi lisse que de l’huile. Elle me remercie d’un sourire pour cette paix retrouvée. Quelques anecdotes sur ce cap mythique, le Cap Horn de la Méditerranée, détendent l’atmosphère.
La maison de Dali, qui défile lentement sur tribord entre les rochers, puis le village blanc de Cadaquès resserré autour de son église, captent l’attention de tous. Quelques minutes plus tard, je lance le moteur et enroule le génois pour entrer dans une de mes criques préférées, la Cala de Jonculls.
Une bouée de corps-mort nous permet de nous amarrer rapidement. Nous avons quelques heures devant nous avant l’arrivée massive des hordes de bateaux à moteur qui viennent de Rosas, Santa Margarita ou Ampuriabrava polluer cette crique si tranquille le reste du temps.
Mais tout le monde a droit à sa part de dimanche.
L’équipage est déjà dans l’eau tiède et transparente. La journée s’annonce brûlante et pleine de bleu. Un deuxième petit déjeuner nous rassemble dans le cockpit. Je raconte. La mer, la terre avec ses terrasses omniprésentes, les arbres, les oiseaux et les poissons, les hommes du pays catalan.
Demain, nous descendrons vers le sud, et après une nuit à Pálamos, ce sera la grande traversée…