Nous sommes rentrés d’Espagne en début d'après midi, dans une mer particulièrement hachée. La tramontane commençait à forcir sérieusement et la météo donnait quarante nœuds pour la nuit. Urgent d'aller se mettre à l'abri ! Et dire que les Bretons pensent que la Méditerranée est un lac paisible !
Mes trois passagers n'ont pas protesté pour ce départ précipité, déjà impressionnés par les moutons blancs aperçus du haut des rochers. Une fois sortis de Port de la Selva et passé l'abri du Cap Cerbère, la mer nous a un peu secoués. Pendant plus d'une heure, le petit Yann est resté debout sur le banc du cockpit à guetter et esquiver les giclées d'eau de mer qui nous arrivaient de l'avant. Puis,la fatigue gagnant, il s'est lassé de son jeu, et je suis descendu l'installer dans sa couchette, bien calé par quelques coussins. Il n'a pas tardé à s'endormir, bercé dans le ventre tiède de Polynia.
J'ai remonté un paquet de biscuits et une bouteille d'eau. Mot d'ordre : ne pas attendre d'avoir l'estomac vide pour manger. Jeanne et Hervé, rassurés de savoir le petit en sécurité, ont attaqué à belles dents les galettes espagnoles. Ce n'est pas la première sortie en mer pour ces Bretons de Vannes, mais ils sont un peu déroutés par cette mer hargneuse et courte. Le voilier file au près à 6 nœuds, avec un ris dans la grand voile et un tiers du génois enroulé. La barre est douce, et à condition de ne pas trop serrer le vent, l’étrave cogne à peine dans les vagues. Quelques heures plus tard, nous rentrons en baie de Banyuls.
Le calme soudain a redonné vie à Jeanne, bien pâle, qui somnolait depuis un moment sur l'épaule de son mari. Le sourire est revenu. Une heure et une bonne douche plus tard, nous nous sommes attablés devant une platée de nouilles fumantes arrosée de ma célèbre sauce aux lardons et à la crème.
Et voilà ! Le petit bonhomme repartira demain matin avec plein d'images dans sa tête et une nouvelle vie de capitaine courageux affrontant la tempête à son actif. Ses parents vont retrouver lundi leur travail avec un peu de bleu dans la tête.
Une fois de plus, la mer a gagné. Elle s’est glissée pour longtemps encore dans les rêves des enfants, même les plus vieux…