Elle était là. Engluée au milieu des trois tonnes de poissons que le chalut de grand fond venait de déverser sur la plage arrière du navire.
Je pensai tout d'abord à un jouet. Une poupée de plastique perdue en mer. Évadée d'une cargaison et noyée à jamais dans les abysses. Je la pris dans ma main avec la ferme intention de la ramener à terre. De l'offrir au premier gamin qui croiserait ma route. Une petite fille, comme celle de mon ami Armel qui nous attendrait avec ses cheveux dans les yeux sur le quai, au retour. Mais je sentis une vibration gluante, et un sursaut la renvoya au milieu de la pêche de l'heure.
Elle échappa de justesse à la poigne noueuse du matelot qui triait les plus belles pièces à côté de moi. Je le bousculai un peu et réussis à la saisir et à refermer mes doigts sur elle comme une cage. À l'intérieur, elle se débattait et je dus serrer un peu plus fort.
C'est alors que je vis ses yeux affolés. Ses yeux suppliants. Sa bouche qui semblait pousser des cris que je n'entendais pas. Sa nageoire caudale battait convulsivement et je songeai qu’elle allait peut-être mourir. Que ce n’était peut-être qu’un poisson comme un autre. Je fermai les yeux et secouai la tête comme pour évacuer l’eau qui les embrumait. Elle était toujours là.
À côté de moi, mon collègue me lança un regard intrigué. Je lui tournai le dos et me dirigeai vers le pavois. La poitrine de la prisonnière se gonflait de plus en plus faiblement. Je croisai deux minuscules iris d’un vert émeraude et j’y lus du désespoir. Un pas de plus et j’ouvris les mains.
Elle resta suspendue un instant à battre des nageoires comme un colibri fait vibrer ses ailes et je fus certain qu’elle me regardait. Elle s’enfonça sans laisser la moindre ride dans le trait d’écume de la vague de travers qui secoua le navire.